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Sur les traces de Marie

Le 14 août 2025 par dans Réflexion

Je papote avec un voisin dans le café du village. Il me parle de ses enfants. Il les aime bien, mais « ils me fatiguent quand même par moment, tu comprends ? » Je hoche la tête. « Enfin, finit-il par dire, puisqu’il n’y en a qu’une qui y ait jamais réussi à élever des enfants parfaitement, il faut bien que nous le fassions imparfaitement. » Je cherche : qui donc aurait réussi à élever parfaitement des enfants ? Il me regarde : « Ben, Marie, voyons ! ». « Marie ? » Je fais mentalement le tour de mes connaissances du village. Aucune Marie parfaite en vue. Mon voisin a un petit côté trublion et il aime bien se moquer de ma foi. Il déclare fièrement : « Marie, la Marie, Marie, la mère de Jésus ! » « Ah ! » fais-je un peu décontenancée, avant d’ajouter « ça dépend à quelle doctrine tu souscris ». Et nous voilà partis pour quelques minutes d’explications autour des différences entre catholiques et protestants.

Le 15 août est traditionnellement un jour consacré à Marie. Les fidèles catholiques célèbrent l’assomption, un dogme proclamé en 1950 et qui affirme que Marie aurait corporellement rejoint Jésus au ciel. La dévotion à Marie est largement répandue en France depuis que Louis XIII a consacré le royaume à la vierge et fait du 15 août l’une des plus grandes fêtes religieuses du pays. En tant que protestants, nous sommes plus mesurés. Bien évidemment, Marie est une figure importante de la foi chrétienne : elle est la mère de Jésus ; elle l’a vu mourir sur la croix ; elle a côtoyé les premiers chrétiens. Mais elle porte aussi notre condition d’être humain, pécheur et déchu. Elle a aussi eu besoin d’un sauveur. Les textes bibliques ne rapportent pas son ascension en gloire et ne nous permettent pas de l’élever à un rang supérieur. Pour autant, la Bible relate quelques moments de sa vie qui peuvent édifier notre foi.

Je suis la servante du Seigneur

Je suis la servante du Seigneur. Que tout ce que tu m’as dit s’accomplisse pour moi. (Luc 1.38)

L’histoire de Marie est tellement connue : on se rappelle son étonnement lors de la visite de l’ange, l’embarras de Joseph lorsqu’elle se trouve enceinte, le long voyage sur les routes poussiéreuses pour se rendre à Bethlehem, son accouchement dans des conditions précaires… Mais qui était réellement Marie ?

Lorsque l’ange lui rend visite, Marie est une toute jeune fille. Certains avancent qu’elle devait avoir entre treize et seize ans. Les textes bibliques nous disent qu’elle est vierge, soulignant que Dieu opère un miracle pour la naissance de son Fils. Dieu était déjà intervenu pour faire naître des enfants miraculeusement : on se souvient d’Isaac, né d’un père centenaire et d’une mère stérile et âgée. Plus proche des événements qui nous intéressent, il y a Jean-Baptiste qui naît d’un couple de vieillards stériles. Mais jamais auparavant, n’avait-il fait naître des enfants d’une vierge et donc sans l’intervention d’un homme. Certains ont contesté ce miracle ; d’autres, et notamment l’Église catholique, ont cherché à le rendre plus grandiose encore. La virginité de Marie est pour eux une composante essentielle du dogme de l’Immaculée Conception qui affirme que Marie serait exempte de péchés.

Même si nous ne souscrivons pas à cette dernière affirmation, il est vrai que la réponse de Marie à l’ange force l’admiration : « Je suis la servante du Seigneur » (Luc 1.38). Être si jeune et mère. Risquer d’être mis au ban de la société et regardé comme une femme de mauvaise vie, alors qu’on n’a rien fait. Risquer de perdre Joseph. Difficile de transposer à notre époque les sentiments qu’ont pu être ceux de cette jeune fille. Avait-elle compris qu’elle porterait le « sauveur du monde » ? Avait-elle compris qu’elle serait aux premières loges de l’accomplissement de prophéties vieilles de plusieurs siècles ? Dieu n’avait-il pas dit au serpent : « Je mettrai l’hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci t’écrasera la tête et tu lui blesseras le talon » (Genèse 3.15) ? Impossible à dire.

Mais sa soumission est touchante – et d’autant plus touchante que Marie est faite de la même pâte que nous. Elle nous laisse un exemple, à nous qui avons souvent du mal à nous soumettre à la volonté de Dieu. Mais sa soumission fait plus, elle dérange. Elle nous remet à notre place : nous sommes les servantes et les serviteurs de Dieu. Elle nous dit que Dieu nous fait la grâce de nous utiliser pour l’avancement de son royaume, mais que cela ne sera pas toujours confortable. Certaines d’entre nous idéalisent la petite pièce où Marie accoucha (« ça devait être comme à la maison ! ») quand d’autres auraient préféré une belle clinique bien propre. Quoi qu’il en soit, le texte biblique montre clairement que Marie n’est pas le centre de cette histoire – comme nous ne le sommes pas non plus. Jésus, lui, en est le centre : il est le centre de l’Évangile, de toute la Bible, de toute l’Histoire. La vie de Marie est un rappel que c’est devant lui que nous devons nous incliner, quoi qu’il en coûte.

Car celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi une mère

Jésus alla à la maison et, de nouveau, la foule s’y pressa au point que lui et ses disciples n’arrivaient même plus à manger. Quand les membres de sa famille l’apprirent, ils vinrent pour le ramener de force avec eux. Ils disaient en effet : « Il est devenu fou. » […] La mère et les frères de Jésus arrivèrent. Ils se tinrent dehors et envoyèrent quelqu’un l’appeler. Beaucoup de monde était assis autour de lui. On vint lui dire : Ta mère, tes frères et tes sœurs sont dehors et te cherchent. Il répondit : Qui sont ma mère et mes frères ? Et, promenant les regards sur ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : Voici ma mère et mes frères, car celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, ou une mère. » (Marc 3.20-21, 31-35)

Quel contraste ! Nous retrouvons Marie dans un tout autre état d’esprit. Au lieu de la soumission, c’est l’indignation ! Au lieu du calme, c’est la précipitation ! Même la posture est différente : dans la première scène, l’ange la trouve chez elle. Ici, c’est elle qui se déplace et prend les devants. Il semble qu’elle ne supporte pas l’idée que son fils fasse des remous, brise les conventions. Et finalement, c’est elle, accompagnée de ses autres enfants, qui créent l’agitation : elle vient avec « force » et ses invectives traversent toute la foule et finissent par arriver aux oreilles de Jésus.

En réponse, les paroles de Jésus peuvent sembler dures ! Mais cet épisode est l’occasion pour lui de rappeler que le salut n’est pas un héritage. Nous ne faisons pas partie de la famille de Dieu parce que nous sommes nés dans une famille chrétienne. Et son enseignement est même plus profond : nous ne faisons pas partie de la famille de Dieu parce que nous faisons de « bonnes œuvres » ! C’est plutôt l’inverse, nous manifestons que nous faisons partie de cette famille parce que nous faisons la volonté de Dieu. Paul dira plus tard : « Les hommes livrés à eux-mêmes [ceux qui ne dépendent pas de Dieu] sont incapables de plaire à Dieu » (Romains 8.8). Faire la volonté de Dieu n’est possible qu’à ceux que Dieu a sauvés. Marie avait, elle aussi, besoin d’un sauveur. Et ce sauveur, c’est celui-là même qu’elle aimerait ramener dans le droit chemin, le chemin du socialement acceptable, du politiquement correct, de la bienséance…

Marie semble avoir oublié que suivre Dieu est souvent bien inconfortable. Pas juste physiquement… mais aussi socialement. Cet épisode nous invite à ne pas mettre Marie – et qui que ce soit d’autre – sur un piédestal et à nous souvenir humblement d’où nous vient notre salut. Mais c’est aussi une occasion de réjouissance : Dieu ne fait pas que nous sauver. Il nous adopte ! Il fait de nous des enfants dans sa propre famille. La phrase de Jésus est extraordinaire : « celui-là est pour moi un frère, une sœur, ou une mère. » Une mère !

Tous se retrouvaient pour prier

Eux tous, d’un commun accord, se retrouvaient souvent pour prier, avec quelques femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec les frères de Jésus. (Actes 1.14)

La conversion de Marie ne nous est pas rapportée. Mais on sait que Marie était présente à la croix. Par la suite, c’est Jean qui veillera sur elle. Ainsi, elle se joint au croyant, persévérant dans la foi et dans l’attente du retour de Jésus. Les textes bibliques montrent clairement qu’elle a occupé une place modeste, celle de tout un chacun, dans l’assemblée des croyants. C’est à Pierre et aux autres apôtres que revient le leadership dans cette Église naissante. Ce verset est le dernier à nous rapporter les faits et gestes de Marie. Qu’est-elle devenue ensuite ? La tradition voudrait qu’elle ait accompagné Jean à Éphèse. Mais là encore, peu de sources écrites confirment cette hypothèse. L’emplacement de son tombeau n’est pas connu.

Dans le dernier verset qui retrace sa vie, elle nous donne une dernière leçon : elle prie ! Un acte d’obéissance et de dépendance. Celle qui a porté Jésus s’en remet à lui, le loue et l’attend. Marie a réellement compris qui était Jésus : « celui qui était, qui est et qui revient. » En lisant ce verset, je me dis qu’elle serait la première à demander qu’on ne la révère pas, mais qu’on adore celui qui seul est digne de toutes louanges. Si nous ne vouons à Marie aucune dévotion, nous pouvons tout de même suivre son exemple et attendre le retour de Christ dans la prière, la gratitude et l’obéissance.

Marie et le mystère de l’incarnation

Je repense à la conversation avec mon voisin et à Marie sur le point d’accoucher du Sauveur du monde. Et cette pensée m’amène à Augustin, ce grand théologien du Ve siècle que dont se réclament catholiques et protestants. Il a quelques belles lignes sur le mystère de l’incarnation. Et c’est peut-être cela le plus important dans l’histoire de Marie : En Jésus, Dieu est venu nous sauver.

Le Verbe [Jésus] du Père, par qui ont été formés tous les temps, qui n’a pas de commencement, qui ne peut être touché ni appréhendé, est devenu chair et pour nous, il est né dans le temps. […] Il est devenu homme, lui qui a fait l’homme, afin que celui qui règle le cours des astres soit nourri à la mamelle. Afin que lui, le pain, connaisse la faim ; afin que lui, la source, connaisse la soif ; afin que lui, la lumière, connaisse le sommeil ; afin que lui, le chemin, connaisse la fatigue de la route […] afin que la vie connaisse la mort. […] Engendré du Père, il n’a pas été créé par le Père. Il a été créé homme dans le sein d’une mère qu’il avait lui-même créée, afin de naître en ce monde de celle, qui, jamais et nulle part, n’aurait pu exister sinon par sa puissance.

Comme Marie, nous avons besoin d’un sauveur. Comme Marie, nous pouvons nous émerveiller devant le mystère de la venue de Jésus. Comme Marie, nous pouvons prier et attendre avec foi le retour de celui qui mourut pour nous et qui, seul, ressuscita pour monter au ciel et siéger à la droite de Dieu. Et comme Marie, nous devons savoir qu’« il y a un seul Dieu, et de même aussi un seul médiateur entre Dieu et les hommes, un homme : Jésus-Christ » (1 Timothée 2.5).

 

 

Photo : La dormition de la vierge, fragment de peinture murale provenant de l’Église Sainte Madeleine de Strasbourg vers 1480.

Miryam L.