J’ai ouvert la porte. Tout était noir. Ou presque. Un rais de lumière multicolore s’échappait de l’unique vitrail et venait éclairer une série de chaises vides. Des milliers de grains de poussière dansaient dans ce maigre rayon de soleil. La pièce était déserte et mes pas résonnaient dans la pénombre. Sur l’autel : un vase vide, une Bible ouverte. Une petite porte m’invite à poursuivre la visite de l’église de mon village : à l’étage se trouve le clocher. Les deux cloches, encore en usage, portent ses inscriptions : « In nomine domini » [au nom du Seigneur].
J’ai beaucoup déménagé, beaucoup voyagé. Où que j’aille j’ai cherché à rejoindre une Église, parfois pour un dimanche seulement, parfois pour une saison de vie. Au fur et à mesure de mes déplacements, la question s’est posée, imposée : c’est quoi une Église, en fait ? La question paraît simple, mais si on s’arrête vraiment pour y réfléchir, elle ressemble plutôt à ce vitrail qui offre une lumière multicolore. Les spécialistes de la question ont beaucoup à dire sur ce vaste sujet. Mais pour aujourd’hui, nous nous arrêterons sur quatre images que nous offre la Bible pour décrire l’Église.
L’Église, un rassemblement
Quittons la Drôme pour la Vendée où ma famille et moi avons passé une année – l’année COVID. Le local de l’Église était trop petit pour accueillir les cultes au vu des restrictions et des normes liées à la pandémie. Nous étions lassés des réunions virtuelles : pas facile de chanter, de prier, de lire la Bible par écran interposé. Les responsables de l’Église allaient devoir trouver un autre moyen.
Le hangar était vaste. Les murs étaient faits de ballots de paille empilés les uns sur les autres. Tout sentait l’odeur de l’herbe fraîchement coupée et nous entendions le bêlement des chèvres dans l’étable. Voilà la solution qu’avait trouvée le pasteur de notre petite Église vendéenne ; et cela aussi, c’était l’Église.
Pourquoi ? Parce que l’Église, ce n’est pas premièrement un bâtiment. Quand l’Église est née, à la Pentecôte, quelques jours après la résurrection de Jésus-Christ, il a fallu trouver un nom à cette nouvelle entité. Les auteurs du Nouveau Testament l’ont appelé « Ekklêsia », qui a donné notre mot « église », et qui veut dire premièrement « rassemblement ». L’Église, c’est avant tout un rassemblement de personnes.
Mais ce n’est pas n’importe quel attroupement. Ce n’est pas un club de foot, une rencontre entre potes, une association pour la protection des animaux. L’Église, c’est une création divine dont Jésus-Christ est le centre. D’une certaine manière, l’Église est le plus grand rassemblement qui existe puisqu’elle réunit tous les chrétiens de toutes les époques – passées, présentes et futures – et de toutes les nations. C’est ce qu’on appelle aussi l’Église universelle. Les Églises locales, présentes à un moment donné, dans un contexte culturel donné, sont en fait la manifestation concrète de cette Église céleste.
L’Église, un édifice
L’Église n’est donc pas un bâtiment. Pourtant la Bible nous dit qu’elle ressemble à un édifice. C’est l’apôtre Pierre qui nous offre cette métaphore et il est bien placé pour nous en parler parce que c’est justement de pierres – de pierres de construction – dont il s’agit.
Vous aussi, comme des pierres vivantes, vous qui formez un temple spirituel, édifiez-vous pour constituer une sainte communauté de prêtres, chargés de lui offrir des sacrifices spirituels qu’il pourra accepter favorablement par Jésus-Christ. (1 Pierre 2.5)
Pierre nous dit qu’ensemble, les croyants (qu’il appelle ici des prêtres) réunis dans l’Église locale sont chacun une pierre d’un édifice dans lequel Dieu habite : un temple, en somme. Cette image du temple et des sacrifices nous ramène à l’Ancien Testament. Le temple, c’est le lieu de la présence de Dieu. C’est le lieu où Dieu rencontre son peuple. Et cela n’était possible que par le moyen des sacrifices qui avaient pour fonction de purifier le peuple pour qu’il puisse s’approcher d’un Dieu saint. Le Nouveau Testament proclame que le sacrifice de Jésus, unique et parfait, réconcilie les croyants avec Dieu. Ainsi, ils sont adoptés par Dieu comme des fils ; ils deviennent citoyens du peuple de Dieu ; ils forment un temple où Dieu habite. Paul ne dit pas autre chose :
Dieu vous a intégrés à l’édifice qu’il construit sur le fondement que sont les apôtres, ses prophètes, et dont Jésus-Christ lui-même est la pierre principale. En lui toute la construction s’élève, bien coordonnée, afin d’être un temple saint dans le Seigneur, et, unis à Christ, vous avez été intégrés ensemble à cette construction pour former une demeure où Dieu habite par l’Esprit. (Éphésiens 2.20-22)
Avez-vous déjà visité une cathédrale ? Aucune pierre n’est identique et chacune à sa fonction. Dans l’Église, c’est pareil : nous sommes tous différents, mais nous sommes tous utiles. Dans une cathédrale, on peut regarder chaque pierre, chaque détail ; mais on peut aussi sortir sur le parvis, prendre du recul et admirer l’ampleur de l’édifice. L’Église, nous disent Pierre et Paul, ce n’est pas un bâtiment, mais c’est un chef-d’œuvre d’architecture !
L’Église, un corps
« Qu’est-ce qu’on a aujourd’hui ? »
C’est le chirurgien qui parle. Moi, j’écoute. Je suis en stage au bloc opératoire de traumatologie. Ce matin, le service ne désengorge pas. En regardant le tableau des admissions, l’infirmière de bloc énumère : « un genou, un rachis, une cheville… » Je suis novice ; je me tais. Mais au fond de moi, il y a ce malaise : je me rends compte que le patient devient un membre, un organe.
Dans plusieurs de ces lettres, Paul compare l’Église à un corps. Et il dit justement : ensemble, vous n’êtes pas seulement une cheville, une hanche ou une oreille ! Sinon le corps fonctionnerait mal. Le corps a besoin de tous les organes pour être un corps. « Nous sommes tous membres les uns des autres », dit-il. Aviez-vous remarqué que ce terme de « membre » emprunte, lui aussi, au langage de l’anatomie ?
Oui, les croyants sont membres les uns des autres. Ils sont tous différents, mais tous utiles et en ce sens tous égaux. Ils sont membres ; ils ne sont pas tête. Car la tête du corps, la tête de l’Église, c’est Christ.
Allez, un peu de latin ! Savez-vous comment dit-on « tête » en latin ? Je vous aide un peu : à la tête de l’armée, il y a un capitaine. Lorsqu’à la révolution on coupait des têtes, on décapitait. Lorsqu’on perdait une bataille, on remettait (figurativement souvent) sa tête à son ennemi, on capitulait. Et peu à peu, le langage évoluant, le « ca » et devenu « cha », puis « che » et nous avons mis sur nos tête d’abord des chaperons, puis des couvre-chefs. Jésus est la tête ou le chef de son corps.
Dans la lettre à l’Église d’Éphèse, Paul dit : « Dieu a tout placé sous ses pieds, et Christ qui domine toutes choses, il l’a donné pour chef à l’Église qui est son corps » (Éphésiens 1.21-22). L’Église ne s’appartient pas à elle-même, elle appartient à Christ et c’est une bonne nouvelle. Pourquoi ? Paul nous le dit dans la suite de sa lettre : « Christ est la tête, le chef de l’Église qui est son corps et dont il est le Sauveur » (Éphésiens 5.23). C’est une bonne nouvelle, parce que nous avions besoin d’un sauveur.
L’Église, une mariée
On pourrait penser que cette image est démodée de nos jours. Qui rêve encore de mariage ? Et pourtant, nous désirons tous être aimés de manière inconditionnelle. Nous aimons l’idée un peu folle de quelqu’un qui s’engagerait envers nous de manière indéfectible. Nous aimons faire la fête, rire, verser notre petite larme, danser… L’image du mariage fait toujours rêver, parce qu’elle appartient à ce que l’homme recherche inconsciemment, mais profondément. Alexandre Vinet, un pasteur protestant du milieu du XIXe, le dit bien mieux :
L’humanité est aveugle, mais elle se souvient confusément d’avoir vu ; elle est expatriée, mais de loin en loin quelques fugitives réminiscences l’entretiennent d’une patrie perdue ; ou, de même qu’une ou deux notes jetées dans l’air rappellent, sans pouvoir la reproduire, une mélodie qu’on a entendue jadis, certaines circonstances de la vie et certaines impressions intérieures font vibrées dans l’âme des cordes de muette, qui réveillent le souvenir de quelque divin concert, puis retombent dans le silence[i].
Jésus lui-même affirme être l’époux. Dans l’attente des noces, il travaille à rendre son épouse, l’Église, parfaitement belle – parce qu’elle n’est pas belle en elle-même. Elle a beau essayer : le maquillage coule, la coiffure se défait, la robe se tache. Cette image nous rappelle encore une fois que l’Église est l’Église parce que Jésus est venu sauver ceux qui la composent. Et au lieu de nous attarder sur notre incapacité, nous pouvons regarder en avant : à la grande fête que Jésus prépare pour ce jour où il reviendra chercher celle qui aura alors été rendue parfaite ! Paul, encore, nous rappelle que nos mariages terrestres sont un reflet de ce mariage céleste :
Quant à vous, maris, que chacun de vous aime sa femme comme Christ a aimé l’Église : il a donné sa vie pour elle afin de la rendre digne de se tenir devant Dieu […] Il a ainsi voulu se présenter cette Église à lui-même, rayonnante de beauté, sans tache, ni ride, ni aucun défaut, mais digne de se tenir devant Dieu et irréprochable. (Éphésiens 5.25-26)
Ok, mais ça sert à quoi l’Église ?
On pourrait croire que l’Église c’est juste un rassemblement de gens qui se sentent bien ensemble et qui ont l’impression d’avoir tout compris, eux. Ce serait une sorte de club fermé. Non, l’Église c’est tout à fait l’inverse : l’Église rassemble des gens qui justement reconnaissent qu’ils sont faibles, perdus, ignorants… si ce n’était pour le secours de Dieu. L’Église accueille en tant que membre tous ceux qui reconnaissent leur nécessité d’un sauveur et elle invite tous ceux qui se posent des questions à venir voir, à entendre, à discuter.
L’Église rassemble des personnes très différentes : des femmes, des hommes, des riches, des pauvres, des jeunes, des vieux, des gens de toutes origines et de tous bords politiques. En fait, L’Église c’est littéralement un pot-pourri ! Un pot-pourri uni par une seule et même passion : adorer Dieu, son sauveur. Un pasteur a dit : « Le but suprême de l’Église, c’est l’adoration[ii]. »
L’Église, c’est un pot-pourri : humainement parlant, un mélange si éclectique, ça ne tient pas ! Et pourtant, dans sa sagesse infinie, Dieu tisse des liens – les liens de l’amour fraternel – entre chacun des membres. Il compose la tapisserie et l’Église devient ce magnifique patchwork multicolore. Toujours dans la lettre aux Éphésiens, Paul nous dit que l’Église manifeste les « aspects infiniment variés de la sagesse de Dieu ». « Infiniment varié », en grec, cela veut dire littéralement, « de toutes les couleurs »… comme ce patchwork qu’est l’Église.
Puissiez-vous, vous qui faites déjà partie de cette immense tapisserie, à nouveau vous émerveiller de ce que Dieu fait au travers de votre Église locale.
Puissiez-vous, vous qui êtes peut-être sur le point de passer la porte, vous sentir attiré par l’amour qui nous lie les uns aux autres.
Miryam L.
[i] Alexandre Vinet, « L’extraordinaire » in Discours sur quelques sujets religieux, Paris : 4e édition, 1860, p. 133.
[ii] John Piper, Que les nations se réjouissent, Marpent : Éditions BLF, 2019, p. 21.