L’automne, c’est le froid qui s’installe, les feuilles qui tombent et la récolte des châtaignes. C’est très sympa d’aller en ramasser par une après-midi ensoleillée ; c’est beaucoup plus fastidieux de s’en occuper ensuite. Ce mois-ci, j’ai passé de longues heures de réflexion, penchées sur une casserole pleine de châtaignes à éplucher. Petit à petit, j’ai découvert que la châtaigne recèle une parabole.
Pressés par le temps, nous oublions que nous vivons dans un monde créé. Un monde d’une grande beauté. Il suffit de s’arrêter, d’aller à la campagne et de récolter quelques châtaignes pour se rappeler que Dieu a créé un monde merveilleux. Alors, on contemple le soleil, on regarde les immenses montagnes au loin et on se dit que l’homme est bien petit face à ce monde, et surtout face à ce Dieu bien plus grand encore. En rentrant à la maison, on savoure quelques châtaignes grillées au feu, et on se dit que Dieu est bon. Il a créé un monde bon pour que nous puissions y prendre plaisir.
Les jours passent et il faut bien éplucher les 50kg de châtaignes que nous avons ramassés. Ce fruit est pourvu de trois “peaux”: la bogue et ses piquants, le “tan”, la peau marron et épaisse, et la dernière peau, la peau duveteuse très fastidieuse à retirer. Dans ma cuisine, les doigts brûlés je prends à nouveau conscience que Dieu a parfaitement fait les choses, jusque dans les plus petits détails. Dieu ne s’est pas contenté de créer un monde fonctionnel; il a créé un monde très beau, ingénieux, qui reflète qui il est, lui. Il est créatif. Il est bon. Il est ingénieux. Il est infiniment grand et il aime que tout soit parfait jusque dans l’infiniment petit. “Dieu regarda tout ce qu’il avait fait, et il constata que c’était très bon” (Genèse 1.31).
Un petit trou de rien du tout
Certaines de mes châtaignes portent un petit trou qui témoigne de la présence d’un ver. Au début, pleine de courage, j’ai décidé de garder ces châtaignes pour éviter de gaspiller. Mais mon travail n’avançait pas aussi bien que celui des vers, qui passaient de fruit en fruit, creusant la coquille des châtaignes avec plus de facilité que je n’arrivais à les éplucher.
Ces châtaignes trouées sont une image de ce qu’est devenu notre monde. Un monde bon, mais infesté. Un monde bon, mais déchu. Évidemment, nous pouvons encore prendre plaisir dans ce que notre monde et notre vie nous apportent de bon. Mais très souvent, comme avec les châtaignes, il faut faire le tri et mettre de côté ce qui est gâté. Le petit trou que nous voyions si bien est, en fait, le trou par lequel le ver sort de la châtaigne après avoir fait tous ces dégâts. Il est préalablement entré en faisant un trou bien plus petit, un trou de rien du tout, dans un endroit bien moins visible, au niveau de la partie grise de la châtaigne.
En Genèse 3, la Bible nous raconte comment notre monde et notre humanité ont été gâchés. Dieu avait placé Adam et Eve dans un beau et bon jardin. Il les avait créés à son image, à sa ressemblance. Il leur avait donné une mission: peupler, étendre et garder le jardin. Ce jardin avait donc des limites, un peu comme les peaux de la châtaigne. Pourtant, un ver à réussi à y entrer. Il fait un petit trou, pas grand-chose, trois fois rien. Un trou de rien du tout… Mais, une fois à l’intérieur, il pousse Adam et Ève à désobéir à Dieu: “Mais si, vous pouvez faire ce que Dieu a interdit, c’est sans conséquence!”. Il les pousse à dévaloriser Dieu: “D’ailleurs, si Dieu vous a interdit de manger du fruit, c’est qu’il n’est pas aussi bon qu’il veut bien vous le faire croire.” Enfin, il les pousse à chercher à être eux-mêmes leurs propres maîtres: “Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme Dieu” (Genèse 3.5).
Le trou est petit; mais les conséquences sont massives et éternelles. Adam et Ève n’ont pas su garder le jardin. Ils ont laissé un trou s’y faire. Ils n’ont pas su repousser le serpent. Au contraire, ils lui ont parlé. Ils n’ont pas su voir qu’ils étaient déjà “comme Dieu”. Mais ne leur jetons pas la pierre… Depuis ce jour, nous vivons dans ce monde bon, mais déchu. Pire encore, nous sommes nous-mêmes déchus, c’est-à-dire séparés de Dieu, incapables de lui plaire sans son aide, de discerner pleinement le bien du mal, le vrai du faux.
Avez-vous déjà ouvert une châtaigne véreuse? C’est moche! Parfois, c’est juste un compartiment qui est pourri; parfois c’est l’ensemble du fruit. Plus j’épluchais mes châtaignes, plus j’étais déprimée par cette réalité. L’Évangile est profondément pessimiste quant à la nature humaine. Avant de nous annoncer une bonne nouvelle, l’Évangile nous annonce une terrible nouvelle: nous sommes mauvais. Et en conséquence, nous avons été chassés du jardin. La voie est fermée. Impossible de revenir en arrière pour retrouver cette communion avec Dieu.
Mais il y a pire!
Quoi! Comment cela pourrait-il être pire? Je regarde mes châtaignes et leur petit trou. Je peste contre ces vers. Il y en a maintenant plein mon salon. Ils rampent sur le parquet; je manque de les écraser.
Mais, ils sont bien pratiques ces vers: on peut les charger de tous les problèmes liés aux châtaignes. Ce sont eux qui compliquent le travail, eux qui gâchent une partie de la production, eux qui finissent par devenir des mites qui envahissent ma maison. La Bible ne nous berce pas d’illusions. Si elle affirme que le diable et le monde cherchent à nous détourner de Dieu, elle nous rappelle avant tout que notre plus grand problème vient de l’intérieur. Trop facile de toujours jeter la pierre sur les autres, sur le diable, la météo, la fatigue… Quand nous faisons cela, nous nous voilons la face. Le véritable problème, c’est mon cœur.
Dans l’Ancien Testament, le prophète Jérémie déjà le disait clairement: “Le cœur est tortueux plus que tout, et il est incurable. Qui peut le connaître?” (Jérémie 17.9). Dans le Nouveau Testament, Jésus répète le même constat: “Mais ce qui sort de la bouche vient du cœur, et c’est ce qui rend l’homme impur” (Matthieu 15.18). Un constat effrayant, mais qui explique que, malgré notre bonne volonté, malgré nos efforts, nous ne serons jamais à la hauteur: Dieu nous a créés à sa ressemblance, mais nous n’arrivons pas à vivre à sa ressemblance. Moïse déjà le disait au peuple dans le désert, en reprenant une image crue: “Circoncisez donc votre cœur et ne vous montrez plus réfractaires” (Deutéronome 10.16).
Circoncisez?
J’épluche mes châtaignes. Je coupe, encore et encore pour éliminer les morceaux rongés par les vers. Je jette. Une forme de circoncision… Couper, enlever, jeter, retrancher. Voilà ce qu’il faut comprendre: impossible de réparer. On doit couper et jeter ce qui est mauvais. Jeter tout? Est-ce aussi désespéré que cela?
Dans l’Ancien Testament, Dieu a donné le signe de la circoncision à Abraham, comme signe de l’alliance entre lui et son peuple. Une pratique qui nous semble bien étrange, à nous Occidentaux. On enlève, on coupe, on jette. On touche à l’intimité aussi… Peut-être est-ce un rappel de notre besoin d’être (en)taillés, transformés au plus profond de nous-mêmes? Peut-être est-ce un rappel que faire alliance avec Dieu ne nous laisse pas indemnes? “Circoncisez votre cœur.” Un ordre donc. Mais en quoi cela consiste-t-il vraiment? On sent bien qu’on ne peut pas prendre cet ordre au pied de la lettre… Mais cet impératif rappelle que le véritable problème vient de l’intérieur, du cœur et que le remède doit être radical: nous avons besoin d’une opération cardiaque.
Il a été brisé pour nos fautes
Dès l’Ancien Testament, Dieu déclare qu’il viendra à notre secours. Dans son amour, il mènera à bien cette transplantation cardiaque: “Je vous donnerai un cœur nouveau et je mettrai en vous un esprit nouveau. Je retirerai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair” (Ézéchiel 36.26). Ou encore, toujours par la voix de Moïse, Dieu dit: “L’Éternel, ton Dieu, circoncira ton cœur […] et tu aimeras l’Éternel, ton Dieu, de tout ton cœur et de toute ton âme, afin de vivre” (Deutéronome 30.6). Ainsi, Dieu nous sauve pour que nous puissions être ce pour quoi nous avons été créés: des êtres qui l’aiment de tout leur cœur! Cette promesse est extraordinaire. Mais le plus extraordinaire, c’est la manière dont elle s’accomplira. Je contemple le cœur d’une châtaigne pourrie. Et je me rappelle que, si notre déchéance vient de l’intérieur, notre salut, lui, vient du dehors. Ce n’est pas en nous qu’il se trouve.
Dieu a envoyé Jésus dans notre monde comme l’un des nôtres pour nous sauver. Et c’est lui, lui qui était doux et humble de cœur, qui a été retranché, coupé, arraché. Sur la croix, Jésus a accepté de mourir à la place de ceux qui ont le cœur pourri et rongé. Et, au moment où il meurt, le voile du temple se déchire de haut en bas (Matthieu 27.51). Ce voile symbolisait la frontière entre les hommes et Dieu, entre le profane et le sacré, entre le monde et le jardin. La voie qui était fermée est désormais libre. Grâce à Jésus, nous avons pleinement accès à Dieu, si nous croyons en son sacrifice.
Et dans sa grâce, Dieu place son Esprit dans le cœur des croyants. Un Esprit qui nous transforme. Cette œuvre commence à notre conversion et se poursuit tout au long de notre séjour sur terre. Nous sommes constamment en travail…
J’ai mis toutes les châtaignes dans une casserole. J’ai mixé et sucré. J’ai transformé mes châtaignes en crème. Je goûte. Cette crème a l’air parfaite.
Un meilleur Éden
Sur la croix, Jésus échange quelques paroles avec un des brigands qui agonisent à côté de lui. Voyant sa foi, il lui dit: “Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis.” Le paradis… N’est-ce pas ce à quoi nous aspirons tous, même si on ne se l’avoue pas toujours? Une envie d’être débarrassés des malheurs de ce monde, de revenir à cet Éden qui fait rêver, d’être en communion avec quelque chose – quelqu’un – qui nous transcende.
Mais, à ceux qui sont ses enfants, Dieu promet bien mieux qu’un retour à l’Éden de Genèse 1 et 2. Il promet une nouvelle terre, où il n’y aura plus besoin de gardiens, de murailles, de portes closes, parce que ce monde sera entièrement débarrassé du mal. Dans ce monde, sans larmes, sans souffrance, sans mort, nous vivrons avec Dieu. Là, nous l’aimerons de tout notre cœur, et nous nous aimerons les uns les autres sans arrière-pensées. Oh, comme nous attendons ce monde meilleur !
Mais dans la Bible, l’attente du chrétien n’est pas passive. Nous sommes appelés à “travailler à notre salut” (Philippiens 2.12.). Cela vous surprend-il? N’avons-nous pas eu l’impression jusqu’ici que Dieu faisait tout? Revenons à notre “circoncisez votre cœur” du début. Oui, Dieu est à l’initiative de notre salut. Oui, Dieu est celui qui nous sauve. Mais, contrairement, à une opération cardiaque, Dieu ne nous place pas sous anesthésie générale pour faire tout le travail. Dieu fait de nous ses collaborateurs, ces collaborateurs de taille, de coupe, de circoncision. Il nous dit : avec mon aide et mon Esprit, “travaillez à votre salut », « circoncisez votre cœur”; “arrachez votre œil s’il vous fait tomber dans le péché”, “mettez à mort vos mauvaises actions”.
Je mets un couvercle sur mes pots de crème de châtaigne et je me dis que je n’en ai pas fini avec ce travail de coupe et de taille dans ma vie. Mais côté châtaignes, tout est épluché, tout est transformé. Demain, nous pourrons déguster cette bonne crème.
Miryam L.
